Quand on a de belles grappes…

C’est con de ne pas les montrer, ni d’en extraire le bon jus… Ou de le délaisser comme ce bon vieux Chatus, ancienne vedette ardéchoise dont l’image s’est subrepticement effacée du paysage et des mémoires. Voilà pour relancer l’affaire des « mauvaises herbes » qui souvent le sont devenues à un moment parce que considérées comme sans intérêt, obsolètes ou capricieuses. Ce bon Chatus, certes rustique, mais tout ne doit pas ressembler au putassier Merlot surmaturé, donc ce bon vieux Chatus a bien failli disparaître à tout jamais. J’ai des confrères qui s’en fichent éperdument, préférant les Grands Internationaux à toutes les sauces, mais la sauce, c’est bon sur la viande, pas dans un verre. Moi, j’aime ça et voici donc le Chatus en vedette. Article paru dans IVV début 2015, mais ici un rien plus complet. Ce n’était pas mon premier essai sur le sujet, depuis les prémices de l’année 2007, j’évoque régulièrement quelques vignes déchues au sein d’une revue médicale pour laquelle j’écris fréquemment. Là, j’ai débuté avec le Fer Servadou qu’aime Franck et le Petit Vermod, certes pas oublié, mais rare en cuvée 100%. Bref, place au..

grappe raisin vignes
grappe raisin vignes

Cépage oublié après le phylloxéra ou plutôt délaissé !

Exigent, comme nombre de ses pairs, il ne s’est pas vu replanté après le cataclysme phylloxérique. Sauf quelques familles cévenoles en réinstallèrent quelques arpents pour conso familiale.

Un dinosaure

Tombé dans les oubliettes administratives pour faute de déclaration lors de l’inventaire ampélographique de 1950, il faudra qu’il fasse des pieds et des mains pour se faire accepter à nouveau au sein de la famille Vitis. Tracas et soucis ne s’arrêtent pas en si bon chemin. Dès le Chatus reconnu, c à d en décembre 1991, il faut réapprendre à le conduire et le vinifier. C’est aujourd’hui chose faite, mais à petite échelle. Seul deux caves coopératives et une cave particulière le mettent en bouteilles dans la région de Rosières en Ardèche du Sud. Peut-être qu’entretemps d’autres s’y sont mis ?

L’ampélographe parle

Ce cépage, typiquement cévenol*, débourre précocement et mûrit fin septembre. Son port est érigé, ses feuilles très grandes et profondément découpées. Il donne des grappes assez grosses, ailées et coniques, aux grains serrés. Ces derniers, sphériques, de couleur noir bleuté, ont la peau fine peu résistante. Il n’existe pour l’instant qu’un seul clone : le 1046.

Les gelées d’hiver l’inquiètent, comme le mildiou et l’oïdium. À contrario, la pourriture grise ne l’effraie pas.

*du Chatus on en trouve ailleurs. Il est considéré comme autochtone des vallées alpines occidentales et répond à d’autres noms locaux comme le Nebbiolo, Neiret ou encore Brunetta. Des essais de plantations ont été effectués dans le Haut Val de Suse (projet Eagle Wines).

Sa conduite

Capricieuse. Il exige l’arcure et veut voir de longs bois courir sur le fil, attachés en arc de cercle.

Sa vinification (mode opératoire : cave de Rosières)

Recherchée. Durant la période d’apprentissage, la première idée le fit fermenter en macération carbonique. Aromatique, mais insuffisamment structuré pour la garde, on lui préféra la macération classique la deuxième année. Sans égrappage toutefois, ce qui le vit d’une rusticité décoiffante. Depuis, la FA se fait lentement après un éraflage consciencieux. Vers la fin de celle-ci, soit dans sa troisième semaine, la malo se lance sous marc et évite ainsi un supplément de volatile.

Seul le jus de goutte est mis en fûts, les presses, trop astringentes et immodérément tanniques sont écartées. L’élevage se fait sur lies bâtonnées une fois par semaine et dure 1 an. Puis, le vin, assemblé, loge encore 12 mois en cuve béton avant sa mise en bouteille.

Sa tournure

À la Cave de Rosières « La Cévenole »

De 1988 à 1994, les essais allèrent bon train jusqu’au premier millésime mis en vente.

Chatus 1995 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Grenat bistre, cerise à l’alcool, cannelle, poivre, salpêtre, végétal en bouche avec un goût de vieille cave qui domine le fruit soutenu par une acidité importante.

Chatus 1999 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Rubis moyen, la couleur inspire plus ! Note fugace de vanille, puis la griotte, le poivre noir et la racine de réglisse. En bouche, la groseille semble triompher, pas longtemps, les presque dix années ont patiné le vin et lui donne des accents d’encens et de boiserie, le tanin est un peu sec.

Chatus 2000  Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Rubis foncé, encore mieux ! Un nez qui répand de la fumée sur les confitures de cerise et de groseille. La suavité de la bouche encourage, les papilles détaillent bien le fruit rouge rafraîchi sur fond de tanins soyeux. Cette fois le goût du bois est bien intégré.

Chatus 2004 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Entre-temps, les rendements ont baissé et sont passés de 50 hl/ha, pour une densité de 4.400 pieds, à une quarantaine au plus. La maturité aussi s’est poussée un peu plus loin. Y a pas à dire, ça se goûte !

Grenat foncé, purée de fruits rouges et noirs, léger toast, floral, des senteurs de noyau, de poivre. Une belle mâche en bouche, un goût d’amande amère qui se fond dans la cerise, la mûre et la framboise, bien équilibré, les tanins serrés rendent la trame ferme.

Chatus 2005 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Grenat sombre, très myrtille avec une purée de kaki (la fruit préféré des baroudeurs), de la confiture de cerise, un fifrelin d’encens, de l’écorce d’orange amère, de la violette. Les tanins plus stricts n’arrangent pas la petite sécheresse de la fin de bouche, heureusement le jus généreux rend la structure assez fluide.

Chatus 2006 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Le vin terminait son élevage en barrique au moment de l’échantillonnage.

Rubis violet, une brève émanation de salpêtre, puis plein pot sur la myrtille, la mûre, la groseille et la griotte, des épices dans le même mouvement, cannelle,curcuma et piment. Bouche tout à la fois élégante et gourmande, jolie mâche, goût de burlat relevé de poivre blanc, un fond minéral au goût de silex frotté.

Chatus 2007 Monnaie d’Or  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Echantillonné avant l’élevage en barriques.

Rubis trouble, le nez sauvage qui vous balance dans une même poignée des framboises, des fraises des bois, des prunelles, des pivoines et des résédas. La bouche ne s’assagit pas et croque à pleines dents les fruits cités, y ajoute des airelles sur un ton joyeux. La finesse des tanins rend encore plus savoureux l’élan fruité. Comme quoi ce serait peut-être sympa d’élaborer une cuvée sans bois…

Une verticale qui en dit long sur le potentiel du cépage.

Le Chatus des Vignerons Ardéchois

Chatus 2005  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche

Grenat foncé, une note boisée surgit au premier nez, les pâtes de fruits rouges et noirs prennent le relais. En bouche, c’est le volume fruité qui emplit en un instant l’espace palatin, un fruité puissant, confiant dans son extraction, les tanins s’enroulent autour des papilles, turgescentes ces dernières enregistrent avec une sensibilité accrue le grillé des arômes de café et de vanille que viennent amortir la figue et le pruneau.

Éraflé, foulé et élevé en partie en fûts pendant 12 mois.

Le Chatus du Domaine du Grangeon

Chatus 2005  Vin de Pays des Coteaux de l’Ardèche Christophe Reynouard

Grenat foncé, un nez qui mélange le cuir à la prunelle, l’humus à la confiture de cerise, le biscuit sec à la pâte de nèfle. Accueil fraîcheur en bouche, vif, il remue les papilles qui s’en remettent dès qu’elles perçoivent la succulence des gelées de mûre, fraise et groseille, parfumées de cumin et de cardamome, un gros bois de réglisse planté dedans, le grain tannique bien fin se tisse en soie grasse et laisse sourdre le jus bien fruité, la longueur rassemble baies et épices sous la même bannière.

Vendangé à la main, trié sur place, égrappé presque en totalité. Christophe en garde un peu, la rafle lui permet de désacidifier en partie et naturellement le moût. Foulé, il macère presque 4 semaines. La FA monte à 31°C, la FML s’enclenche difficilement à cause de la charge tannique. Basculé en barriques, le vin y termine sa FML. Laissé sur lies, il y reste 23 mois. Pas soutiré, il s’élève en réduction. Collé, puis légèrement filtré à la mise.

Christophe Reynouard possède 2,10 ha de Chatus dont un coteau de 15 ares âgés de plus de cent ans. Le cépage y pousse comme ailleurs dans des décompositions de grès qui donnent des sables grossiers très filtrants. Les parcelles sont agencées en terrasses.

Où « chatuser » ?

Déjà rare sur place, le trouver ailleurs, en France métropolitaine ou à l’export, témoignera d’une veine qu’il faudra dare-dare exploiter au casino. Si par ailleurs, vos pas vous-même aux alentours de Rosières, tentez votre chance !